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Mon chef ne répond jamais

Fév 18, 2021

Angry boss and employee

Mon chef ne répond jamais

Le ghosting

Jean-Claude travaille dans la finance. Il vient de passer chef d’équipe. La conjoncture est un peu compliquée : ses collaborateurs viennent de la fusion de deux équipes. Par suite d’un plan social, de douze personnes aujourd’hui, il n’en restera que deux, trois mois plus tard.

Jean-Claude doit recruter pour compléter son équipe.

Il reçoit de nombreux candidats, en retient quelques-uns et s’adresse aux Ressources Humaines pour finaliser le processus de recrutement.

« Vous comprenez, me dit-il, je dois absolument passer par mon PDG. Le recrutement doit suivre une procédure qui est la même pour tous, et c’est le big boss lui-même qui valide, ou non, le candidat retenu. Sauf qu’il ne valide rien du tout ! Il ne répond à rien. Je lui ai transmis les dossiers de mes candidats. Je l’appelle, je lui envoie des emails, un et encore un et encore un autre. Je lui ai fait un rapport des risques que nous courrions à fonctionner en effectifs réduits. Et… toujours rien ! Il ne bouge pas. Pas moyen d’avoir une réponse. Et sans lui, je ne peux rien faire. Mes recrutements sont bloqués. »

Oh combien horripilante la situation dans laquelle votre interlocuteur fait le mort.

Bien évidemment êtes-vous persuadé que son attitude est volontaire et dirigée contre vous. Que c’est à vous de tout faire pour résoudre le problème.

Ce qui est vrai : en partie.

Changer de lunettes

En partie seulement car il s’agit en premier lieu de bien définir la problématique. Vous avez un travail à faire, des objectifs à atteindre. Cela est le premier paramètre de l’équation.

Le deuxième recouvre les moyens à votre disposition pour atteindre votre but : vos collaborateurs, les outils dont vous disposez, vos ressources…

Le troisième, le plus souvent ignoré, consiste à percevoir le contexte, l’environnement dans lequel vous travaillez, afin de mettre en lumière la faisabilité de votre tâche.

D’après mon expérience, la plupart d’entre vous s’arrête aux deux premiers paramètres, voire certains au premier seulement. Et  vont ensuite tout tenter pour atteindre un but inatteignable.

Inatteignable, car l’environnement ne permet pas de l’atteindre.

Si je reprends mon exemple, comment voulez vous que qui que ce soit d’ailleurs, puisse effectuer le même travail (même qualité, mêmes délais), avec une équipe qui passe de 12 personnes à 3 ?

Evidemment ce n’est pas possible. Et au lieu de chercher envers et contre tout à réussir quelque chose d’impossible, il faut inclure ce paramètre supplémentaire « la réalité des choses fait que, temporairement, le temps d’augmenter mes effectifs, je ne pourrai pas fournir un travail équivalent »

Bien évidemment encore, les managers que vous êtes vont me dire que ce n’est pas envisageable, que votre travail se doit d’être fait. Point.

Oui, mais. Oui, mais à la condition que ce soit faisable.

Comment faire lorsque votre hiérarchie ne répond rien ?

Envisageons la même situation avec un chef qui vous écoute et qui vous suit. Alors vous pouvez procéder à vos recrutements et ne pas tomber en sous-effectifs. Vous lui faites part des risques encourus à n’avoir que des nouveaux, et il en accepte les conséquences.

Dans ce cas, vous n’en parleriez même pas, et votre niveau de stress ne serait pas monté.

A l’inverse, vous vous dites que vos objectifs se doivent d’être atteints, sans autre forme de réflexion.

Oui, mais encore une fois vous ignorez la réalité qui est que la personnalité de votre chef est telle, que son planning est chargé de telle manière qu’il ne vous répondra pas, et ce quoi que vous puissiez faire et dire.

Alors, une fois que vous avez tout tenté, à vous de considérer cette nouvelle équation : « comment modifier mon travail en fonction de la nouvelle donne pour que je puisse cependant satisfaire, à peu près, mes clients ».

Ce à quoi Jean-Claude me répond que les risques sont tels que ce n’est pas envisageable.

Quels risques ? « Eh bien, dans ce domaine financier qui est le mien, si je ne fais pas mon travail en temps et si je fournis des données approximatives à mes clients, ils risquent de perdre de l’argent, se retourner contre nous et cela nous obligera à leur verser des pénalités. »

Et alors ? Réponse de Jean-Claude « il s’agit de sommes énormes ! »

Et ? « Oui, c’est arrivé une fois, nous avons versé 300 000€ à un client »

Et ? « Le PDG n’était pas content, évidemment, il a pris note, et c’est tout. Oui, cela fait partie des risque inhérents à notre métier »

Peut-on l’anticiper ? Oui, le plus possible, en calculant les risques, mais pas totalement, et certainement pas dans le contexte qui est celui de Jean-Claude actuellement.

L’apprentissage par l’expérience et l’apprentissage par la compréhension

Si l’apprentissage correspond chez tous à la création d’une trace mnésique dans notre cerveau, les manières de la créer et de la consolider varient chez chacun.

De l’apprentissage résultent des comportements, qui deviennent progressivement inconscients et automatiques.

Pour en arriver à cette étape de compétence inconsciente, nous utilisons des stratégies et des modes d’apprentissage différents.

J’aime bien en considérer deux, relativement exclusifs : l’apprentissage par l’expérience et l’apprentissage par la compréhension.

Le premier revient à dire que vous apprenez en tirant parti de vos expériences, bonnes (réussites) ou mauvaises (échecs), en vous fiant à vous et en faisant abstraction de ce que peuvent vous dire les autres.

D’autres personnes ont plus besoin de la compréhension.

Visiblement le patron de Jean-Claude est plutôt du premier type : vous aurez beau lui expliqué « noir sur blanc » ce qui se passe, tant qu’il n’y sera pas confronté, il ne bougera pas. Ou il lui faudra beaucoup de temps.

A l’inverse, Jean-Claude est plutôt du premier type : il analyse tout pour éviter toutes les erreurs possibles.

Expliquant cela à son chef, et ne tenant pas compte de la manière dont il fonctionne, ils ne peuvent pas s’entendre.

Pour y parvenir, chacun a besoin de savoir que l’autre fonctionne différemment afin d’en tenir compte et d’y adapter son discours.

Pour Jean-Claude, cela revient à appuyer sur les expériences passées afin d’en faire des parallèles et à insister sur les risques (non pas en terme de calculs statistiques) inhérents à chaque dossier et à montrer le préjudice financier qui en résultera pour l’entreprise.

Il y a fort à parier qu’en appuyant sur les bons leviers, ceux qui lui correspondent, son chef finisse alors par lui répondre.

Voici un autre exemple dans lequel une assistante maternelle expliquait à la maman d’une petite fille de trois mois, qu’elle devrait profiter des soldes d’été pour acheter des vêtements chauds à son bébé en prévision de l’hiver prochain. La maman ne répond rien, mais arrivé la fin de l’automne, elle dit à l’assistante maternelle : « ma fille a froid, savez-vous où je peux lui trouver une combinaison d’hiver, le magasin où je me suis rendue n’en avait plus ? » Cette maman apprend par l’expérience (et les exemples se sont répétés sur d’autres sujets), alors que l’assistante maternelle fonctionne plus par la compréhension et l’explication.

Dans ce cas, vous serez plus efficace lorsque vous comprenez exactement ce que l’on attend de vous ou lorsque vous comprenez ce qui se cache sous un concept, quels en sont les tenants et aboutissants.

Dans l’exemple ci-dessus, vous voulez bien couvrir plus votre bébé que vous-même car on vous a expliqué que les bébés n’avaient pas la même thermorégulation que les adultes et qu’ils ont donc besoin d’une épaisseur supplémentaire. Sans cela, vous êtes capable d’écouter un avis, mais en restant cependant « sur votre faim » d’incompréhension.[/box]

Béatrice Millêtre