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Ca se mesure l’intelligence ?

Mai 5, 2022

Ça se mesure l’intelligence ?

Le principe de la mesure de l’intelligence[1] a été établi dans les années 1900 par Alfred Binet et Théodore Simon. A cette époque, et il faut se replacer dans ce contexte précis, on s’est demandé comment établir un test quantitatif. La question immédiatement consécutive a été de savoir qui étaient les personnes les plus intelligentes, et ce qui les caractérisait. La réponse a été : « celles qui ont fait des études. »

Le but premier était de mesurer « l’arriération, » afin d’orienter les enfants concernés dans des classes de perfectionnement.

Binet n’a aucune intention de mesurer l’intelligence des personnes normales : « Nous arrêtons ici la liste des tests que nous avons utilisés. Il eût été facile de les continuer en les compliquant, si on avait voulu faire une hiérarchie parmi les enfants normaux. On pourrait même étendre l’échelle jusqu’à l’adulte normal, jusqu’au normal intelligent, très intelligent, hyperintelligent, et mesurer, ou du moins essayer de mesurer le talent et le génie. Nous remettons à une autre occasion cette étude difficile.[2] »

Tous les tests actuels sont les héritiers, modifiés, de ces tests centenaires.

A l’heure actuelle, les tests les plus utilisés sont ceux de Weschler.

On s’accorde à penser qu’ils permettent de situer l’individu sur une courbe statistique de répartition de la population générale, selon le principe de la courbe de Gauss, correspondant à ce que l’on appelle en mathématiques « la loi normale » de répartition.

66% de la population obtient un QI compris entre 85 et 115 ; 5% de la population a un QI supérieur à 125 ; 2,5% a un QI supérieur ou égal à 130 et  0,13% supérieur à 145.

Il s’agit une échelle composite d’efficience intellectuelle qui permet de comparer les résultats d’un sujet par rapport à la moyenne des individus de sa tranche d’âge.

Il donne une évaluation globale du fonctionnement intellectuel en termes de langage, raisonnement, organisation spatiale, mémoire, rapidité d’exécution dans le traitement d’informations.

Le test est constitué de différents sous-tests constitués d’un certain nombre de questions : à chaque question est attribué un nombre de points, si bien que plus on répond, plus on obtient de points. Le total est transformé, en fonction de l’âge de la personne en une note allant de 1 à 19.

La moyenne d’une même classe d’âge se situe entre 8 et 12, avec un médian à 10.

Sont regroupés en indices, les questions d’une même catégorie.

Quatre indices sont aujourd’hui utilisés (cinq chez les enfants) : l’Indice de Compréhension Verbale (langage), l’Indice de Raisonnement Perceptif (logique visuelle), l’Indice de Mémoire de Travail (mémorisation de chiffres et de lettres) et enfin l’Indice de Vitesse de Traitement (report d’une figure dans une liste). Auquel s’ajoute l’Indice de Raisonnement Fluide (IRF) chez les enfants.

La moyenne du QIT et des 4 indices est de 100.

Les résultats chiffrés obtenus aux subtests ne sont pas des notes, mais des indices qui évaluent l’individu par rapport à ce qui est attendu des personnes de son âge.

Le résultat permet de situer les individus selon leur niveau d’intelligence. Le résultat de ce test est exprimé par un quotient intellectuel (QI) dont la moyenne est de 100.

Cela veut dire que le quotient intellectuel moyen dans la population générale se situe à 100.

Les individus se situant entre 110 et 129 sont considérés avec une intelligence moyenne forte à supérieure et ceux qui ont une intelligence égale ou supérieure à 130 sont considérés comme très supérieurs.

Les individus se situant entre 90 et 110 sont considérés avec une intelligence moyenne.

Les individus se situant entre 70 et 90 sont considérés avec une intelligence faible à moyenne faible.

En dessous de 70, l’intelligence de l’individu est considérée comme faible.

Il en existe trois versions, l’une pour les enfants en dessous de 6 ans (le WPPSI, ou Echelle d’Intelligence de Weschler pour la Période Pré-scolaire et Primaire), pour les enfants entre 6 et 17 ans (WISC[3] ou Weschlers Intelligence Scale for Children ; Echelle d’Intelligence de Weschler pour les Enfants) et pour les adultes à partir de 16 ans (WAIS ou Weschler Adult Intelligence Scale ; Echelle d’Intelligence de Weschler pour Adultes).

Le principe est de dire que les individus ayant répondu à plus de questions ont un QI plus élevé que ceux qui ont répondu à moins de questions.

Un certain nombre de problèmes se pose lorsqu’il s’agit des personnes à haut potentiel[4].

Le premier est le principe de la répétition des items, jusqu’à ce que l’on ne sache plus répondre. Or la routine leur est difficile et il leur est, dès lors, compliqué de répondre à la suite à une série de questions similaires. Nombre d’entre eux refusent finalement de continuer.

Le second est que si le test initial de Binet était conçu comme un outil de dépistage de « l’arriération » dans un but thérapeutique, le test de Weschler est connu, lui, dans le grand public, comme un test de mesure de l’intelligence, et même de l’Intelligence, avec un grand « I. »

Les personnes qui désirent le passer le font, à l’évidence, avec une raison, raison en lien avec l’intelligence, leur intelligence, sur laquelle, bien souvent, ils ont des doutes, et ils veulent ainsi faire du mieux qu’ils peuvent.

Tant et si bien qu’ils finissent par ne pas donner les réponses attendues.

En effet, il est évident pour eux qu’ils doivent donner une réponse « intelligente », et il ne leur vient pas à l’esprit que ce qui est attendu n’est qu’une réponse « basique. »

Une autre problématique liée à ce test est son mode de passation, défini par le manuel. Il est bien entendu que les conditions de passation doivent être identiques chez tous, afin que les résultats soient cohérents d’une personne à l’autre. Cela est cependant préoccupant lorsqu’il faut que les enfants, notamment, restent deux heures (environ) sans pouvoir bouger. Or certains ne le peuvent pas : à commencer par ceux qui présenteraient un trouble de l’attention ; sans oublier les enfants à haut potentiel dont certains ont besoin de bouger.

Je conçois bien que ce soit un problème, pour l’environnement scolaire par exemple. Mais si l’enfant est capable de répondre, alors même qu’il est en train de faire une galipette, c’est bien qu’il dispose, dans son cerveau, des réponses attendues, réponses qu’il ne donnerait probablement pas en étant assis fixement dans sa chaise. La question que je soulève ici est de savoir ce que l’on souhaite mesurer : les capacités du cerveau ou une conformité sociale ?

Le quatrième problème réside dans le calcul du QI lui-même : pour que celui-ci soit possible, il faut, pour des raisons encore une fois statistiques, que les quatre indices se situent dans la même zone ; s’ils montrent un trop fort écart, le manuel de passation du test de Weschler indique que le QI total ne peut être calculé, et nombre de personnes que je reçois me montrent le fatidique « QI non mesurable » ou « QI non significatif » de leur feuille de compte-rendu[5].

Or nous savons aujourd’hui[6] que de nombreuses personnes à haut potentiel  présentent un écart entre leurs différents indices, si bien que l’on admet aujourd’hui qu’il suffit qu’un des quatre indices soit supérieur à 125 pour que l’on puisse parler de haut potentiel[7].

Si en France on utilise majoritairement ce test, les anglo-saxons considèrent que percevoir le surdouement au travers du QI est réducteur[8] : une personne à haut potentiel est quelqu’un montrant de grandes capacités intellectuelles (quelqu’un de plus intelligent), de grandes capacités de résolution de problème et une grande créativité. Les échelles de mesure[9] (par exemple the gifted rating scale) prennent ainsi en considération[10] :

  1. La capacité intellectuelle, au travers des talents verbaux et/ou non-verbaux, du raisonnement abstrait, de la résolution de problèmes, la vitesse mentale et la mémoire.
  2. La capacité académique : cette échelle mesure la capacité à gérer les aspects factuels ou scolaires, à travers les compétences dans les différentes matières.
  3. La créativité, avec une échelle évaluant la capacité de penser, d’agir et/ou de produire des produits innovants, uniques et originaux : on évalue comment un individu résous des problèmes, expérimente de nouvelles idées, formule des solutions et utilise son imagination.
  4. Le talent artistique : cette échelle mesure le potentiel ou les compétences en théâtre, danse, peinture, sculpture, chant, musique.
  5. Le leadership : cette échelle mesure la capacité à motiver les autres vers un but commun. On évalue également les aptitudes à résoudre les conflits, la prise d’initiative dans un groupe ainsi que la compréhension de la dynamique sociale et la communication interpersonnelle.
  6. La motivation : cette échelle se réfère à l’implication, à la constance, au désir de réussir, à l’attrait pour les tâches stimulantes, ainsi qu’à la capacité de travailler efficacement sans encouragements particuliers, conduisant à l’accomplissement.

On voit bien par cette échelle que l’on est loin même de la définition que je donnais en préambule, et bien loin de celle  utilisée couramment en France.

Quant à la Belgique, la définition officielle est la suivante[11] : « Concrètement, nous considérons qu’un jeune est à hauts potentiels s’il obtient un QI total supérieur ou égal à 125 ou obtient au moins une note supérieure à 130 dans l’un des indices, et/ou montre des capacités exceptionnellement développées dans l’un des types d’intelligences de Gardner qui ne peuvent être mis en évidence au moyen du test de QI ou à diagnostic des hauts potentiels ayant été mis en évidence par d’autres professionnels. »

En tout état de cause, l’identification ne peut pas faire abstraction du contexte et de l’environnement dans lequel vit la personne[12].

Apprenez-en plus, notamment en quoi consistent les 10 questionnaires, comment s’y préparer et qu’en attendre.


[1] Voir à ce sujet : Huteau, Michel, Alfred Binet et la psychologie de l’intelligence, Le Journal des psychologues, 2006/1 (n° 234), 24-28.

[2]  Binet, A., & Simon, Th. (1905). Méthodes nouvelles pour le diagnostic du niveau intellectuel des anormaux. L’Année Psychologique, 11, 191-244, p223.

[3] Voir à ce sujet les deux livres d’Eric Turon-Lagot : WISC-IV : Une mesure des manifestations de l’intelligence chez l’enfant(2015) ; WISC-IV :  Volume 2, L’expression des compétences cognitives & de leurs troubles chez l’enfant et l’adolescent (2016).

[4] Pereira-Fradin M, Caroff X Jacquet A-Y (2010). Le WISC-IV permet-il d’améliorer l’identification des enfants à haut potentiel ?. Enfance, 2010, pp 11-26

[5] M. Liratni R. Pry (2012) Profils psychométriques de 60 enfants à haut potentiel au WISC IV Pratiques psychologiques 18 63–74

[6] Mueller, H.H., Dash, U.N., Matheson, D.W., Short, R.H., 1984. WISC-R subtest patterning of below average, average, and above average IQ children: a meta-analysis. Alberta J. Educ. Res. 30 (1), 68–85.

[7] M. Liratni, R. Pry, 2012. Profils psychométriques de 60 enfants à haut potentiel au WISC IV. Pratiques psychologiques 18, 63–74

[8] Voir à ce sujet le numéro spécial de l’Académie des Sciences de New York, paru en Août 2016 : Annals of the New York Academy of Sciences. Special Issue: Beyond the IQ Test, August 2016, Volume 1377, Issue 1, Pages 1–77

[9]  Pfeiffer, S. I., Petscher, Y., Kumptepe, A. (2008). The Gifted Rating Scales-School Form: A Validation Study Based on Age, Gender, and Race; Roeper Review ; 30(2): 140–146.

[10] ] S. P. Marland, “Education of gifted and talented,” (report to the Subcommittee on Education, Committee on Labor and Public Welfare, U.S. Senate), U.S. Government Printing Office, Washington, DC, USA, 1972.

[11] Wallonie-Bruxelles, F. (2015). Les tests de Q.I.

[12] Freeman, J. (2005), ‘Permission to be gifted: how conceptions of giftedness can change lives’, in R. Sternberg & J. Davidson, Conceptions of Giftedness, Cambridge: Cambridge University Press. (pp 80-97)